1-Introduction
2-Trapèze
3-Interversion
4- Ellipses
5- Rectangles
6- Cadenza
7- Filtres harmoniques
8- Champ des aires
9- Harmonies obliques
10- Hymne en ogive

CD Adda 581257 (1992) par l’Orchestre Français de Flûtes dir AL flûte solo Pierre-Yves Artaud

 

1988 Chant des Aires Flûte solo (prenant le piccolo) et orchestre de flûtes :

18 mn Salabert

Commande de Pierre-Yves Artaud pour l'Orchestre Français de Flûtes.

Création le 18 avril 1988 à Paris ( Centre Georges Pompidou) par l'Orchestre Français de Flûtes sous la direction du compositeur; soliste Pierre-Yves Artaud.

 

Le flûtiste Pierre-Yves Artaud, grand chercheur de nouvelles factures (il fit construire la flûte octobasse) crée en 1988 un ensemble d'une quarantaine de flûtistes (l'OFF) et fait une commande à Alain Louvier, immédiatement séduit par l'idée. Chant des Aires est composé rapidement pendant l'été 1987, et permet à l'auteur, écrasé par la charge du déménagement du CNSM à la Villette, de garder le contact avec l'écriture en 1/4 tons.

 

 

Texte de présentation de l'auteur:

 

J'ai toujours été attiré par les "orchestres-camaïeux" formés d'instruments homogènes. L'agrandissement de cette notion, assez récent, à la famille des flûtes rend possible, aujourd'hui, la création d'un orchestre de flûtes à l'étendue satisfaisante (5 octaves ) et aux possibilités très riches.

CHANT des AIRES est une sorte de suite concertante formée de 10 courtes séquences s'enchaînant sans interruption. Leurs titres sont révélateurs:

1- Introduction

2- Trapèze

3- Interversion

4- Ellipses

5- Rectangles

6- Cadenza

7- Filtres harmoniques

8- Champ des aires

9- Harmonies obliques

10- Hymne en ogive

et dénotent la coexistence de plusieurs techniques de composition:

a) une manière traditionnelle (1, 6, 10); ainsi la Cadenza rythmiquement pulsée mais épousant la forme rondeau...

b) une manière "harmonique" ( 7, 9 ) employant par exemple les accords à renversement transposés et les permutations intervalliques.

c) une manière "graphique" qui donne son nom à l'oeuvre ( 2, 4, 5) et s'essaie à la traduction sonore de figures géométriques précises, en lignes, surfaces, courbes, densités: c'est le CHANT des AIRES.

d) une manière "aléatoire contrôlée" ( 3, 8 ) qui emploie des conventions différentes, notamment une technique de "direction vectorielle" où le chef décide par son geste de la plus ou moins grande "surface sonore" de l'orchestre : c'est le CHAMP des AIRES.

Élément unificateur: la cellule mélodique fa-sol-fa# située exactement au milieu de la tessiture de la flûte en ut ( 3 octaves) mais aussi de celle de l'orchestre total ( 5 octaves), véritable miroir autour duquel tout s'articule.

Composition de l'orchestre :

Flûte solo ( prenant le piccolo ) et 24 flûtes disposées en 6 quatuors, de gauche à droite du chef:

flûtes 1-4 et 5-8 (baissées d'un 1/4 ton et jouant le piccolo)

flûtes 9-12 (jouant le piccolo)

flûtes 13-16

flûtes 17-20 ( jouant la flûte en sol)

flûtes 21-24 (jouant la flûte basse )

 

Dans un entretien pour le journal des Éditions Salabert, A. Louvier expliquait un problème inattendu d'orchestration :

" J'ai rencontré un problème acoustique très amusant, dû à la nature même de la flûte basse, très sourde dans le grave ( alors que dans l'orchestre à cordes, au contraire, les violoncelles ont tendance à sonner trop). Je m'y attendais, et ai rectifié dans l'écriture ce déséquilibre; mais je pensais néanmoins avoir eu la "main lourde" en faisant jouer une tenue grave par 4 flûtes basses, alors que la même tenue 3 octaves plus haut était confiée à un seul piccolo jouant pp.... eh bien, à l'écoute, c'est exactement ce qu'il faut!"

L'Âœuvre contient des techniques de direction assez nouvelles.

 

Ainsi, dans l'Introduction, le chef décrit des cercles comme l'aiguille de l'horloge, en comptant sur une répartition statistique des événements.

Dans le n°3 ( Interversions), des séquences lancées librement par le chef sont situées dans une seule octave, les flûtes basses au-dessus des piccolos!

Le 4ème mouvement, (Ellipses) figure de diverses manières des ellipses sonores, creuses ou remplies, comme dans les Poèmes de Ronsard ou le rond parfait était évoqué.

Que de Beautez, que de Graces écloses,

Voy-je au jardin de ce sein verdelet,

Ici , toutes les ellipses ont le fa# central comme axe de symétrie.

 

Comment figurer un rectangle (5ème mouvement)? Autant les 2 côtés horizontaux sont simples à imaginer

(tenues parallèles ), autant les 2 côtés verticaux sont théoriquement de durée "nulle"... le dessinateur, comme le musicien, sont amenés à leur donner corps; c'est là qu'interviennent les illusions acoustiques basées sur la persistance auditive; surtout dans une salle réverbérante, les traits ff en petites notes enchevêtrées donnent l'impression de traverser d'un coup un riche mur vertical.

 

Dans le 6ème mouvement (Cadenza), la musique populaire " à un temps", et sa triste boîte à rythme sont perverties: les piccolos scandent inlassablement des sons aigus staccato…sur lequel se placent des cris (style "samouraï")…une brillante cadence de piccolo termine ce mouvement.

 

Dans le 7ème mouvement ( Filtres harmoniques) est mis en relief un sous-ensemble de l'orchestre, composé de 8 flûtes, 4 flûtes en sol et 4 flûtes basses, accordées normalement, que les 8 autres colorent parfois d'un 1/4 ton vibratoire.

Il s'agit de "filtrer" l'espace formé par les 30 1/2 tons inférieurs de l'orchestre ( do2 à fa#4) avec des successions d'intervalles en permutation circulaire.

 

 

 

Le plus étonnant est le n°8: Champ des Aires, où une tradition orale veut que le soliste quitte sa place pour venir jouer près et doubler la flûte basse n°1 : l'aulos grec à 2 tuyaux est ainsi recréé... pendant ce temps, le chef imagine un jeu avec les 23 flûtes de l'orchestre, qui n'est possible que si la disposition de l'aigu ( à gauche ) au grave ( à droite) est respectée. En effet, chaque musicien participe avec sa propre "brique" à 4 clusters virtuels, selon le geste du chef:

signe I ( un doigt ) : cluster trillé ppp

signe V ( 2 doigts, le V de la victoire ) : cluster de multiphoniques au choix

signe I ( poing fermé ) : forêt de sfz

signe ( paume à plat, à la limite du salut hitlérien! ) : enchêvetrement de réseaux legato

 

 

L'innovation réside dans le système de "direction vectorielle": il est convenu qu'une fois affiché l'un des 4 signes ( on ne peut les confondre ), le chef joue librement avec l'angle d'ouverture de ses bras, et que chaque musicien joue tant qu'il se trouve entre les bras du chef: le compositeur s'est beaucoup amusé en dirigeant ce passage

L'avantage de cette formule, outre son côté ludique, est la facilité de commenter le discours par essence variable des 2 solistes, de les submerger ou les laisser passer d'une seconde à l'autre....d'où le jeu de mots sur le "champ" des "aires" mobiles décrites par les bras du chef...

Le dernier mouvement (Hymne en Ogive) oppose les deux accords de l'orchestre avec des accords simples (parfaits ou dominante très souvent) qui se mettent à vibrer ensemble. L'œuvre se termine sur un récitatif de piccolo sur un tapis très riche des 24 flûtes ou les sons multiphoniques (si instables aux flûtes) viennent mystérieusement troubler des grands accords/couleurs presque messianiques.

 

Chant des Aires a doté l'Orchestre Français de Flûtes d'une oeuvre riche, dans la tradition harmonique de l'École Française, complément idéal à d'autres créations de cet ensemble ( notamment la très belle oeuvre de Taïra pour 32 flûtes: Flautissimo)