10 février 1987 à Radio-France par Catherine Cantin, Tasso Adamopoulos et Frédérique Cambreling
1986 Envols d'Écailles Flûte, alto et harpe 21 mn Éd. Leduc
Commande de Radio-France
Création le 10 février 1987 par Catherine Cantin, Tasso Adamopoulos et Frédérique Cambreling à Paris (Maison de Radio-France)
Texte de l'auteur:
Ces trois pièces furent écrites entre janvier et août 1986. Le trio flûte-alto-harpe, dont Claude Debussy est l'inventeur génial, m'a inspiré des visions furtives, rapides, fulgurantes, entrecoupées de plages d'attente tour à tour rêveuses ou inquiètes, traduites, comme chez Debussy, par des changements incessants et imprévisibles de métrique ou de dynamique. Les papillons, qu'il m'est arrivé d'observer, d'épier ou de chasser, m'ont donné le rythme merveilleusement insaisissable de leurs vols, diurnes, nocturnes, tournoyants ou désinvoltes. Leurs repos même, dont les durées sont fantasques, entrecoupent ces "visions fugitives", ces "envols d'écailles".
Il faut ici rappeler qu'Alain Louvier apprit de son père biologiste l'art subtil d'étaler, de conserver les insectes comme dans les muséums... sa collection personnelle est d'ailleurs édifiante, acquise dans la région parisienne entre 1955 et 1965, et à Rome pendant son séjour à la Villa Médicis (1969-72).
Enfant, il apprit à reconnaître les espèces en vol et à les suivre jusqu'à leur repos, pour les capturer.
Bien plus tard, il reconnut dans Colette une admirable observatrice, et choisit, en exergue des 3 pièces, des textes d'une exquise poésie.
Ces 3 pièces symbolisent les trois saisons d'envol, et, utilisent chacune une flûte différente; chacune des pièces est basée sur une note-pivot prise dans les harmoniques du do grave du violoncelle : successivement le 7ème (la+1/4) , le 9ème (ré) et le 3ème (sol): d'où l'idée de monter 3 cordes " la" de la harpe d'un 1/4 de ton pour produire le 7ème harmonique et, grâce aux pédales, 9 notes en 1/4 de ton...
I- Envols légers d'un jour de juin ( pour flûte en ut, alto et harpe )
Texte de Colette :
" Autour des souches, des campanules mauves, des aigremoines jaunes ont jailli en fusées, et des chanvres roses au parfum d'amande. Le papillon « Citron » y tournoie, vert comme une feuille malade, vert comme un limon amer, il s'envole si je le suis, et surveille le moindre mouvement de mes mains. Les Sylvains roux, couleur de sillon, se lèvent en nuage devant mes pas, et leurs lunules fauves semblent m'épier. Un Grand Mars farouche franchit le bois et fait resplendir, au soleil, hors de toute atteinte, l'azur et l'argent d'une belle nuit de lune..."
Forme en séquences nombreuses, entrecoupées de silences variables...qui figurent les attentes de l'observateur.
Le début d'Envols d'écailles voit la harpe se transformer en contrebasse, par l'usage de l'archet sur le do grave.
Cette pièce montre de nombreuses recherches de sonorités croisées, évoquant parfois des instruments traditionnels japonais. La voix du flûtiste est aussi utilisée, et aussi diverses colorations du souffle.
La coda est remarquable par son côté mystérieux, mêlant le prévisible ( 4 notes obstinées) et l'imprévisible ( quelques flashes ou effets instrumentaux variés, comme des espèces d'insectes différentes ) objets sonores raffinés disposés par tirage au sort...
II- Envols furtifs d'une nuit d'été ( pour piccolo, alto et harpe )
Texte de Colette :
" Grands Sphinx verts et roses, gris et roses des lauriers, Sphinx violets et verts des pétunias, ils sont innombrables, séduits par l'arrosage quotidien, fidèles aux fleurs dont ils portent les couleurs. Ils déploient leurs douze, quinze centimètres de trompe subtile, pompent le nectar, se désaltèrent aux gouttes d'eau suspendues. Quand vient l'instant de nous attabler sous la tonnelle, les crépusculaires, en ronde, donnent du front contre la lampe. les Sphinx aux gros yeux qui reflètent en rouge la lumière tombent, étourdis, dans la corbeille de figues et de pêches. Puis ils recommencent, car ils n'ont pas de rancune. Et, comme j'ai abdiqué toute malice, je leur tend ma main, mouillée d'un vin rosé qui plaît à ces grands buveurs dont la trompe, sur mes doigts, est plus rapide et plus immatérielle encore que la petite langue de la couleuvre."
Dans cette pièce feutrée, mélangeant le piccolo et la sourdine de l'alto, le chiffre 7 est omniprésent, tant dans la carrure ( mesures à 7/4, 7/8, 7/16 ) que dans les groupes de notes, dessinant des sphinx musicaux dont le corps fuselé porte 6 pattes (d'où le nombre 7).
Après toutes ces espèces rares de noctuelles, phalènes ou autres bombyx, minuscules séquences construites autour du ré grave du piccolo, surviennent des épisodes spectraux sur do, en octaves puissantes de harpe, quelque peu pianistiques
Enfin, une curieuse coda invoque une gamme de...7 sons, proche de la gamme acoustique, égrenée par un glissando strictement contrôlé, la position des pédales produisant la succession do ré mi fa# sol la+3/4 sib, comprenant un retour en arrière d'un 1/4 de ton! L'ostinato, en morendo progressif, est survolé de chants d'oiseaux suraigus...la pièce se termine par l'annonce, à la harpe, du thème du 3ème mouvement.
III- Envols crépusculaires ( pour flûte en sol, alto et harpe )
Texte de Colette :
"Quand le Papillon vole au loin, je le vois mal, mais je le nomme d'après son allure, sa manière de se comporter dans l'air. Comment confondre le vif battement du Machaon, par exemple, et le magistral vol du Flambé qui plane, épanoui? Mon oeil pourrait se tromper aux couleurs du Vulcain et du Paon-du-jour, si le Vulcain soupçonneux ne fuyait la présence humaine. Le Paon-de-jour au contraire se pose, interroge chaque fleur, muse, s'énivre sur le chanvre rose, perd toute prudence, se laisse saisir entre deux doigts..."
Cette dernière pièce, plus mélodique , voire lyrique, est basée sur le principe du rondeau varié; mais ce sont des variations essentiellement rythmiques et modales; en fait, la harpe varie surtout la position des pédales :
La dernière page constitue le résumé de toute la partition: relayé par l'alto, le flûtiste enchaîne une arabesque sur 5 octaves, avec les 3 flûtes, puis redescend, 7 mesures avant la fin, sur les 3 notes polaires : sol, ré, la+1/4.
La harpe a repris l'archet sur le do grave, et rejoue les 3 signaux du début.
Et enfin l'ombre de Debussy passe, irisant d'un 1/4 de ton un motif de la Sonate, avant de s'évanouir discrètement en boucle répétée (arrêt sur image)…
Alain Louvier - très anxieux du résultat sonore - mit un point d'honneur a tout essayer lui-même, lentement, sur la harpe. L'oeuvre fut achevée en septembre 1986, à la veille de sa nomination comme Directeur du CNSM de Paris.... et fut appréciée des harpistes.
Une analyse très détaillée se trouve dans le livre de Pierre-Albert Castanet "Louvier, les claviers de lumière" (Ed. Millénaire III)
CD 3D 3C 88002 ( 1989) par Patrick Gallois, Pierre-Henri Xuereb et Fabrice Pierre