28 avril 1974 à la Salle Gaveau par Michel Arrignon et l’Orchestre du Conservatoire de Paris dir A Louvier
1974 3 Atmosphères clarinette et orchestre
Premier aboutissement orchestral après 6 années de recherches sur les 1/4 tons: le principe retenu, analogue à celui des Ramifications de Ligeti (qu'Alain Louvier dirigea en 1972), est d'accorder un instrument (ou un pupitre) sur deux un 1/4 ton plus bas. 2 pianos également décalés aident à la justesse.
Note de l'auteur:
Le mot atmosphère est considéré dans ses deux acceptions: chimique et poétique. Cette oeuvre est un hommage à la clarinette, instrument riche en étendue et en ressources.
3 mouvements successifs:
1- Méthane: gaz lourd entourant les planètes mal connues. Atmosphère épaisse, glabre, évitant les sons clairs (pas de hautbois). Registre grave, très caverneux (chalumeau) des 4 clarinettes
2- Azote: gaz neutre, impropre aux combustions violentes. Atmosphère blanchâtre, très stable; registre "médium" de la clarinette soliste
3- Hélium : gaz léger servant à gonfler les aéronefs. Atmosphère scintillante en agitation interne. Registres éclatants du "clairon" et du suraigu
Nomenclature de l'orchestre
Accordés à 442 Hz Accordés à 430 Hz
Flûtes 1-2 ( pr. Piccolo) Flûtes 3-4 ( pr. Piccolo)
Hautbois 1 Hautbois 2
Clarinette solo en si bémol
Clarinettes 1 et 3 en si bémol Clarinette 2 en si bémol
Basson 1 Basson 2
Saxophone alto 1 Saxophone alto 2
Cor 1/Trompette 1/Trombone 1 Cor 2/Trompette 2/Trombone 2
Tuba
Harpe
Piano 1 Piano 2
4 percussions
12 violons (pup 1-3-5) 12 violons (pup 2-4-6)
4 altos (pup 1-3) 4 altos (pup 2-4)
2 violoncelles (pup 1) 2 violoncelles (pup 2)
2 contrebasses (pup 1) 2 contrebasses (pup 2)
Chaque percussionniste dispose notamment d'une timbale, d'un clavier, d'une cymbale, d'un tam-tam, de peaux et de cloches à vache avec grelots ( clarines), ce qui permet, soit de multiplier le même instrument de manière polyphonique ( par ex. le très berliozien quatuor de timbales!), soit de permettre à un executant de jouer des "sons composés" (par ex. bongos + xylo) avec les 2 mains, de façon parfaitement synchrone et équilibrée.
La clarinette soliste, dans ses cadences, utilise les intervalles des nombres premiers simples, et l'orchestre les harmonies numériques (cf Triangle de Pascal) colorées d'irisations en 1/4 tons voisins; ces effets sont particulièrement saisissants entre des instruments identiques (quand ils sont bien réalisés, ce qui est difficile pour les anches ou les trompettes).
Dans Méthane, la formule chimique CH4 est reprise en colonnes harmoniques comprenant un son grave et 4 sons aigus moins intenses.
Après un début sortant de batteries très graves des 4 clarinettes, alternant cadences ( employant les nombres 3, 5, 7, 11 tour à tour ) et plages orchestrales irisées; un décor sonore incessant mais changeant est créé par le quatuor des clarinettes qui entoure le public; à H, l'accord "imparfait" pare la mélodie, puis prolifère avec violence à K; une cadenza de clarinette ( mouvement brownien ultra-rapide dans un espace qui se déplace ) conduit au tutti final (N), sombre magma d'orchestre séparé par des guirlandes de flûtes, puis de pianos en 1/4 ton ( à Q).
Coda en dissolution progressive, dialogue lointain entre les 4 clarinettes et les 2 saxophones qui brodent le ré grave initial.
La masse atomique de l'Azote est évoquée dans le 2ème mouvement par des quintes justes ( 14 quarts de ton), avec glissements, tuilages fins autour des do# et do+ émis par les deux demi-orchestres; après une explosion initiale où elle cogne contre ses limites, la clarinette solo devient indifférente, neutre comme l'azote: le chef lui donne, mollement, de la main gauche, l'instruction d'arrêter ou de reprendre une boucle mélodique sans fin.
L'orchestre alterne des plages contrastées:
- Suite de quintes superposées glissant en 1/4 ton ( 2 à 3 ) ; apparition des hautbois!
- mélange statique et fragile de multiphoniques, d'harmoniques et de balles de ping-pong dans les cordes des pianos ( chiffre 3 )
- Plages plus ou moins brèves basées chacune sur la décomposition des nombres 1974 à 2000, selon une décomposition en 1/2 parfois déviée au 1/4 ton voisin. Exemples:
1974 = 2.3.7.47 1976 = 23.13.19 1984 = 26.31 1995 = 3.5.7.17 1998 = 2.33.17
( 1mes av 4) ( 3ème de 4) (3 av 6) (2ème de 8) (4ème de 8)
4 mesures avant 9, un orchestre de chambre "juste" décrit les nombreuses permutations du nombre 2000 = 24.53 sur une pédale de do; un plain chant ( alleluia de la fête de la Dédicace) passe, et suit une attraction/libération sur l'unisson do# du début mais fff, sorte de réexposition de la cadenza de clarinette, avec une percussion métallique ajoutée
- rupture du discours : 3 mesures avant 13, avec des accords parfaits en hétérophonie aux 2 pianos.
- à 13, lecture en éventail des factorielles 1! à 14! ( produit des 14 premiers nombres ); exemples
1! 2! 3! = 2.3 ..... 6! = 24.32.5 .... 10! = 28.34.52.7 .... 14! = 211.35.52.72.11.13
Pendant que les cordes lisent ces factorielles, la clarinette, très modale, orne un chant grégorien.... explosion par saturation des registres à 15
- Coda : solo de clarinette émettant des octaves multiphoniques en trille de 1/4 ton, ou bisbigliandi ( trilles entre 2 doigtés d'un même son, provoquant un changement de couleur); environné d'une contrebasse grégorienne et de pianos jouant encore l'accord 2000, la clarinette termine par un arpège introduisant l'aigu de hélium.
Dans Hélium, les 3 clarinettes de l'orchestre sont regroupées en écho arrière, en glissandi suraigus.
Les séquences alternent tutti et groupes solistes.
Séquence 1 ( début à 3) : des glissandi de cors lancent l'harmonie "2000", qui diverge vers le spectre du mi grave ( rencontre fortuite avec Gérard Grisey dans Périodes, qu'Alain Louvier ne dirigera que quelques mois plus tard ); orchestre très brillant, divisé entièrement en solistes
Séquence 2 ( (2 à 3) : concertino spatial des 4 clarinettes en appels, sur fond de gamelan ( claviers + contrebasses avec baguettes de xylo; le soliste atteint le si bémol limite
Séq. 3 ( 3 à 8 ) : jeux de masses et de nuages de sons ponctuels sur le spectre de mi
usage de sons "mixtes"
à la percussion (4 av 7)
Séq. 4 ( 8 à 14) : dialogue fantasque des 4 solistes, sur fond contrasté ( registres extrêmes); le soliste finit sur des ré en bisbigliando, harmonisés en accords de septième "imparfaite" par les clarinettes arrière.
Séq. 5 ( 14 à 20) : alternance de solos de clarinette dénudés ( rappel des bouckes de azote) avec, juxtaposés ou mélangés, des nuages statistiques à la Xenakis: classement des sons en 5 "blocs" ( ponctuels, trillés, brefs, petits crescendi, glissandi )
Séq 6 ( 20 à 23 ) : retour par l'aigu du spectre de mi, avec citation des arabesques de Daphnis et de l'appel d'Intégrales de Varèse
Séq. 7 ( 24 à 27 ) : réexposition stricte de la séq. 1, avec clarinette soliste ajoutée, qui tend vers le suraigu
Séq 8 ( 27 à la coda) : prestissimo jubilatoire avec prééminence des percussions à l'unisson: le spectre s'enfle, les clarinettes le gravissent sans cesse, et tout bute sur un choc fff
Séq 9 ( coda ) : fin curieusement ppp, sur un fond de cloches et d'harmoniques, les 3 clarinettes arrière s'éloignent en jouant, sortent de la salle sur le rappel de la coda d'azote... le mi reste dans l'oreille....
Cette oeuvre importante marque une étape: l'auteur renonce ensuite à désaccorder tous les musiciens, et poursuit sa recherche théorique en 1/4 de tons sur des instruments à clavier, plus fiables.